Originaires du Neuhof, le quartier au sud de Strasbourg, Malika Souci, Karima Merah, Adem Baspinar et Saban Kiper se sont présentés sur les listes des deux dernières élections municipales. Malgré le sentiment d’être le « candidat idéal » pour certains, un « faire-valoir » pour d’autres, l’expérience s’est révélée positive. Retour sur leur apprentissage de la vie politique.

Cette page est extraite du Webdocumentaire : Jeunes du Neuhof : les désabusés de la cité, réalisé par sept étudiants du Cuej, de septembre à novembre 2014.

J’ai été un atout, une carte dans ses mains », concède Malika Souci, presque fataliste. Seizième sur la liste de Roland Ries, aux élections municipales de 2008, la Neuhofoise a parfois l’impression de « n’avoir été qu’un faire-valoir » dans la campagne du candidat PS, actuel maire de Strasbourg. Pourtant, si la sexagénaire est clairvoyante, elle n’est pas amère. « Malgré tout, je le remercie. Ce fut une expérience positive en termes de réseau, d’apprentissage de la démocratie et des mécanismes du pouvoir, justifie-t-elle, si c’était à refaire, je le referais. »

A son image, Karima Merah, Adem Baspinar et Saban Kiper avaient tous le profil du « candidat idéal ». Neuhofois d’origine algérienne ou turque, ils ont tous les quatre été approchés par des partis politiques en recherche permanente de diversité. « Sur une liste de candidats, il faut prendre en compte différents paramètres pour ne pas qu’elle soit trop homogène. La ville n’appartient pas à un certain type de population. Le fait que je vienne du Neuhof a joué, c’est certain », admet Adem Baspinar, 40 ans, sur la liste EELV aux municipales 2008 et 2014. « Même le FN est venu me voir », s’esclaffe Karima Merah, 44 ans, psychopraticienne. Une sollicitation qu’elle rejettera d’un revers de la main pour finalement se présenter sur la liste EELV elle aussi en 2008 et 2014.


Le bon profil


A les entendre, leur engagement politique relève, pour la plupart, d’une rencontre et leur présence sur les listes électorales d’un « accident ». « J’ai rencontré Alain Jund à l’Astu [association de médiation entre les institutions et la communauté turque, Ndlr.], on a partagé une analyse commune. Au départ, être candidat, ça ne m’intéressait pas, confie Adem Baspinar, c’était plus pour donner un coup de main. » Coïncidence? Rien n’est moins sûr. Engagés professionnellement ou politiquement, tous avaient pour atouts une connaissance des réalités et besoins du terrain, un réseau bien fourni et un rôle moteur dans le quartier. « Quand j’ai rencontré Roland Ries, je lui ai dit que j’étais prête à mettre à son service le petit impact que j’avais dans le quartier, raconte Malika Souci. Un jour, il m’appelle et me dit que je suis 16e sur la liste. Moi je ne voulais pas, je n’avais pas le temps. Je ne pensais pas avoir la chance d’être élue. » Elue, elle le sera pourtant au sein de la majorité PS, tout comme Saban Kiper.

A 35 ans, le chargé de mission à la Ditib (association turque qui porte le projet de la création d’un campus en sciences religieuses musulmanes) fait figure d’exception parmi les anciens candidats du Neuhof. « J’étais un candidat idéal, mais pas un faire-valoir. J’avais déjà un engagement politique », insiste-il. Encarté au PS depuis 1996, il a demandé personnellement à figurer sur la liste de Roland Ries en 2008. Il n’est toutefois pas dupe sur la raison de sa présence au conseil municipal. « Je sais que j’ai été choisi plus pour mon profil que pour mes idées », avoue-t-il. Des idées mortes-nées pour la plupart des candidats.


S’adapter à la réalité


Après l’excitation de l’engagement, les Neuhofois se sont rapidement confrontés à la réalité politique. « On savait déjà que la seule priorité dans le Neuhof, c’était la rénovation urbaine, pas les associations », constate Saban Kiper. Lenteur et complexité des démarches administratives, enjeux contradictoires, ont freiné, voire fait avorter, leurs projets. « Au sein de la majorité, on avait les pieds et les poings liés », confie Malika Souci. Elle décide alors de la quitter à mi-mandat. Une façon pour elle de n’avoir plus de comptes à rendre mais aussi de se libérer du carcan administratif. « Après, tout est devenu plus simple », constate-t-elle. Aujourd’hui, elle n’est plus élue. Elle n’a pas souhaité se représenter aux dernières municipales, fatiguée par cette première expérience. Comme elle, les autres candidats n’occupent plus de mandat politique, actuellement. Saban Kiper a été destitué en 2013, à la suite de propos tenus sur les manifestations à Gezi, en Turquie. Son avenir au sein du PS semble compromis. Il est sous le coup d’une procédure disciplinaire depuis plus d’un an. « J’ai l’impression d’avoir été lâché par le parti », juge-t-il.

Néanmoins, en politique ou sous d’autres formes,  les quatre Neuhofois n’abandonnent pas pour autant leur engagement. À l’échelle du quartier comme Malika Souci. Elle raconte : « On pense tous à 2017, on fera quelque chose… » Mais quoi ? Difficile pour le moment d’en savoir plus. Sous d’autres formes et au-delà du Neuhof pour Saban Kiper. « Je continuerai avec ou sans le PS, pas forcément en tant qu’élu », explique-t-il. Pour lui, c’est la création du campus de théologie musulmane, à Hautepierre, qui prime.

Chacun à leur manière, ils incitent les jeunes à s’engager. Pour Karima Merah, un conseil : « Apprendre à se protéger et avoir les dents bien pointues pour faire grincer le plancher sans trop attirer l’attention. » Malika Souci est du même avis, pour elle « il faut garder une part de rêve », même si, à son image, « il faut savoir les adapter à la réalité ».

Maud Lescoffit et Julien Pruvost


« Montrer l’autre face de la pièce »


« C’est pas en restant chez soi à râler qu’on change les choses », Yazid Knibiehly, 15 ans seulement, en est convaincu. Depuis l’âge de 8 ans, il est engagé en politique. Il fait partie de ces jeunes Neuhofois qui ont décidé de faire bouger les choses. Comme lui, Youness El Hassnaoui et Younus El Bachiri s’investissent à leur manière dans le quartier. Ils sont membres du Mouvement des jeunes diplômés du Neuhof, une association qui souhaite tirer vers le haut les étudiants de la cité.


« Un artiste est fatalement engagé »


 « On est les premières victimes des clichés, des amalgames et la forme artistique, ça permet de dépasser ça, d’amener de la complexité. C’est aussi la fonction du cinéma. » Lundi 3 novembre, Abd Al Malik était au cinéma UGC Rivétoile à Strasbourg pour l’avant-première de son film autobiographique « Qu’Allah bénisse la France ».

Rappeur originaire du Neuhof, l’artiste désormais cinéaste a choisi de parler du quartier dans son premier long métrage, en noir et blanc. Sans fioritures mais avec verve, il évoque le quotidien des jeunes de la cité. Un milieu complexe où se côtoient drogue, chômage, violence mais aussi multiculturalisme, amitiés et religions salutaires. Pour Abd Al Malik, il s’agit de dire aux uns et aux autres que « le déterminisme, ça n’existe pas ».

Samedi 8 novembre 2014, France 3 Alsace s’est installée à la médiathèque du Neuhof pour une édition exceptionnelle de la Voix est libre, réalisée en marge du Forum mondial de la démocratie. Quatre jeunes du quartier ont interrogé le maire de Strasbourg.

Parmi eux, Larouci Didi, rappeur qui vient de faire ses débuts au cinéma dans l’un des rôles principaux du film d’Abd Al Malik, Qu’Allah bénisse la France. A 22 ans, il enchaîne les contrats de courte durée en tant que chauffeur poids-lourds. Mais il aimerait bien avoir un emploi stable et une vie comme tout le monde…


En replay, l’émission La Voix est libre, préparée par sept étudiants du Cuej pour France 3 Alsace.


(Document France 3 Alsace)

Les désabusés de la cité fait partie de la rubrique Diaporamas sonores et vidéos. Cliquez pour accéder au sommaire ou pour découvrir le reportage multimédia suivant : Escapade photogra’friche

JUL_2967