Patrick Poulain est un habitué de l'Urbex, l'exploration urbaine. Il parcourt seul ou à plusieurs des friches industrielles ou de vieux sites délaissés. Dans ces lieux, il laisse libre cours à son imagination photographique.
François Drouvin travaille sur le thème de la nature qui reprend ses droits.
Patrick Poulain, lui, alimente un stock de clichés. Il assemblera ensuite ses photos à l'aide d'un logiciel pour obtenir une seule image.
Ce lundi, il est de sortie avec son ami photographe, François Drouvin. Ils ont choisi une friche amiénoise et d'anciens bunkers allemands près de Flixecourt pour déambuler.
Même s'ils pénètrent quelques fois dans des lieux interdits, Patrick Poulain et la plupart des urbexers s'interdisent toute effraction. "Nous ne devons laisser que la trace de nos pas", souligne Patrick Poulain, rappelant l'une des maximes des urbexers.
Flixecourt, près d'Amiens, en août 2015. Les deux photographes François Drouvin et Patrick Poulain en pleine séance d'Urbex dans un ancien site de lancements de fusées allemandes.

Patrick Poulain et François Drouvin, deux photographes picards, pratiquent l’Urbex. Ils explorent les friches à la recherche de l’inspiration, les exposant toutefois à certains dangers.

Il est 9 heures, un lundi matin, dans la périphérie amiénoise. Deux silhouettes se faufilent à travers un mur en tôle éventré. Derrière, de vieux entrepôts décrépis, abandonnés depuis plusieurs années. Les deux visiteurs – deux hommes de plus de quarante ans – pénètrent dans l’un d’entre eux. Ils portent un sac et du matériel sur le dos. Ils s’arrêtent devant un mur de briques à moitié démoli et recouvert de tags, sortent chacun un appareil photo et commencent à shooter. Il s’agit de deux photographes en pleine séance d’Urbex (lire encadré ci-dessous).

Leur dada: entrer dans des lieux dépourvus ou presque d’activité humaine, s’imprégner de l’ambiance et laisser libre court à leur créativité. Le tout, sans aucune dégradation de leur part. Patrick Poulain vient y puiser la matière première de ses photomontages. « Ici, on a l’impression de se retrouver dans des films de science-fiction ou des romans d’Edgar Allan Poe. C’est une source d’inspiration pour raconter nos propres histoires», décrit le sexagénaire, en passant sous la charpente d’acier déchiquetée d’un hangar.


Le sol craquelé, le toit éventré


Une fois les clichés pris, le photographe amateur a l’habitude de les combiner entre eux : Il découpe certaines parties des uns pour ensuite les coller sur les autres, à l’aide d’un logiciel. Quant à François Drouvin, il est ici pour compléter une série d’images qu’il exposera à la fin de l’année. « Je travaille sur le thème de la nature qui reprend ses droits », explique le quadra originaire d’Ailly-sur-Somme. L’environnement dans lequel il se trouve correspond plutôt bien à ses besoins. Au sol, des herbes folles percent le bitume et les fenêtres brisées laissent entrer les branches de buissons sauvages.

Les deux photographes évoluent chacun de leur côté dans les décombres de la friche industrielle. Celle-ci, Patrick l’a déjà visitée précédemment. Il est revenu ce jour-là pour la présenter à son ami François. En général, leurs pérégrinations photographiques sont programmées à l’avance. Ils localisent leurs lieux grâce aux visions satellites fournies par le web, aux forums dédiés, ou au bouche-à-oreille. Les amoureux de l’image côtoient quelques fois les fanas de randos insolites ou de graffitis. Pendant plus de deux heures, les deux artistes jouent avec la géométrie et la lumière des lieux, cherchant l’harmonie dans le chaos généré par les poutres et autres escaliers branlants.


En vidéo : Patrick Poulain et François Drouvin expliquent leur démarche.


En dehors des cliquetis de leurs réflexes et le grincement des morceaux de tôle frappés par les bourrasques, l’exploration se déroule dans un silence quasi monacal. Jusqu’à ce que l’aboiement d’un chien ne résonne dans l’édifice, surprenant Patrick et François, sur le point de terminer leur exploration. Une fois sortis de l’entrepôt, ils croisent une femme promenant son chien à travers la friche. Ils lui expliquent la raison de leur présence, ce qui semble la rassurer.
« On ne fait pas que de bonnes rencontres ici, vous savez, glisse-t-elle, je me suis déjà fait insulter et caillasser par des jeunes qui squattent dans les environs. »

Il y a de la vie dans les friches.On peut y rencontrer des graffeurs, des joueurs de paintball et de streetgolf ou même des squatters et des ferrailleurs. Patrick Poulain, photographe

En effet, la visite des friches se révèle être généralement dangereuse. En plus des mauvaises rencontres, les urbexers ne sont pas à l’abri d’un plancher ou d’une toiture qui s’effondre. Pour cette raison, les adeptes de l’exploration urbaine préfèrent sortir en groupe. Ce qui ne les immunise pas contre tout. Leurs escapades se déroulent souvent sur des terrains privés et sans autorisation. « La police m’a déjà arrêté une fois, se souvient Patrick Poulain. Le site était télé surveillé. Par chance, je n’ai pas été poursuivi. » Néanmoins, cela ne semble pas arrêter les deux urbexers. Ils ont déjà en tête un autre lieu abandonné à visiter dans l’après-midi, cette fois du côté de Flixecourt.

Julien Pruvost

À l’origine de l’Urbex L’Urbex et les photographes français
Le terme urbex est la contraction d’urban exploration, en français : exploration urbaine. L’objectif : visiter un lieu abandonné (friche, toits, habitation) sans effraction, pour prendre des photos. La pratique a été popularisée au milieu des années 90 par un jeune canadien du nom de Jeff Chapman. En France, le mouvement trouve ses racines auprès des cataphiles, les explorateurs des catacombes de Paris. Depuis une dizaine d’années, de nombreuses communautés d’Urbex ont vu le jour sur le net, dont les membres s’échangent lieux et conseils. En Picardie, Vincent Héquet allie la pratique de l’Urbex à la photographie de danse. Son travail est visible sur thebottomleft.blogspot.fr.

Depuis 2002, Yves Marchand et Romain Meffre traversent les frontières en quête de friches. Ils ont photographié Détroit, frappée par la crise.

Escapade photogra’friche fait partie de la rubrique Diaporamas sonores et vidéos. Cliquez pour accéder au sommaire ou pour découvrir le reportage multimédia suivant : La souffrance au travail : témoignages

DSC_0237-2